Articles de octobre 2010 ↓

Dernière ligne droite.

Les ptits loups, l’heure tourne. Dans plus ou moins quatre jours, je braverai une dernière fois le trafic indien pour rejoindre l’aéroport et mettre le cap sur Paris. J’aurais pourtant aimé vous parler d’encore une foultitude de choses :

  • Des records que l’on admire sur les routes :
  1. 5 indiens sur une Honda 150cm3 (père-mère-enfants-bébés…au moins si la moto se plante, tout le monde ramasse…) ;
  2. 10 dans un rickshaw : 6 à l’intérieur et 4 en rappel à l’extérieur…sachez que la contenance classique est de l’ordre de 3 européens pas trop baraques autrement le moteur cale dans les côtes ;
  3. Et enfin le stationnement en triple file minimum qui vous transforme des parkings complets en casse-tête chinois.
  • De mon chauffeur qui a très vite compris que pour calmer 3 français bien remontés à l’arrière de sa bagnole après un accrochage avec les flics, y avait rien de tel qu’un CD de Lady Gaga.
  • Et (puisqu’on en parle) de mes nouvelles mésaventures avec les forces de l’ordre et des services de sécurité. Ils sont lâches. Et intolérants. Et useless. Je ne les aime pas.
  • Du Village dans son état actuel : désert dans la brume poussiéreuse de l’aube, avec les détritus jonchant le sol et les silhouettes déchiquetées des structures qu’on démonte entre les résidences abandonnées, on se croirait perdu dans Silent Hill le jour de Noël.
  • Des défonçages de cloisons à grands coups de lattes, LA spécialité des  contremaitres roumains/tunisiens bien dans leurs baskets. Personnellement j’y vais avec un peu plus de délicatesse et je me contente d’un petit bond gracieux au-dessus des murs avec deux workers pour me faire la courte échelle. Pour obtenir des clés dans ce pays, faut prendre rendez-vous 15 jours à l’avance, préparer un classeur blindé de formulaires avec chacun 3 coups de tampons différents, avoir un forfait téléphonique illimité, risquer sa vie dans La Maison Qui Rend Fou (Asterix avait raison sur toute la ligne, hormis sur le fait qu’elle se trouve en Inde et non pas en Égypte) et faire des libations d’hectolitres de lassi sur l’autel des cas désespérés en chantonnant du Patrick Sébastien déguisé en Grand Schtroumpf pendant une éclipse le jour du solstice d’hiver. S’il neige ça marche encore mieux.
  • De certains chefs-d’œuvre indiens…je n’ai malheureusement pas eu l’occasion d’en voir des masses, mais quand on voit ce qu’ils ont pu bâtir en 5 ans, par exemple, on se demande comment ça se fait qu’ils n’aient pas bouclé les Jeux en deux coups de cuillères à pot. Impressionnant.

Prise de guerre.

Et j’en passe. Mais j’ai pas trop le temps là, et tout ça me donne envie de dresser un petit bilan, vite fait. Parce que c’était quand même une sacrée expérience. L’Inde est loin d’être un pays tendre, c’est un fait. J’ai aussi passé le plus clair de mon temps ici à bosser, ce qui au final était un tantinet aliénant. Mais c’est un train de vie assez incroyable, sans aucune routine ni temps mort. En travaillant à l’étranger avec des gens que vous côtoyez quasiment 24h/7j  sur des projets pareils, les règles sont fondamentalement différentes de ce que vous pouvez trouver dans des bureaux parisiens. Ajoutez à cela que la plupart de ceux qui sont ici ont un parcourt atypique et viennent d’un peu partout : Humainement, c’est une autre dimension. Il y a ces rares et fabuleuses soirées où les « vétérans », réunis autour d’une vodka ananas dans la cour d’un quelconque palace indien, font leurs récits de leurs guerres : des lampes orientales répandent une faible lumière orangée sur l’assemblée, trop diffuse pour chasser complètement les ombres qui se découpent sur les visages. Le décor est planté et un parfum d’encens et d’aventure flotte dans l’air:

– Tu te souviens de la Confèd’ Cup en 2009, Joe ? le jour où on a mis la pression au premier ministre ? on est retourné au chantier après la réunion et on s’est retrouvé tous les deux à creuser une tranchée derrière un stade à 2h du mat’ !

– Oue. (Une rasade de cocktail). Putain d’Angola…

Je force à peine le trait, et c’est juste magique : on dirait les radotages sur la guerre du Vietnam de deux vieux GIs au comptoir d’un bar. Tout ça pour dire, on a un peu l’impression d’être dans un autre espace-temps et le décalage au retour va me faire un drôle d’effet. Des missions pareilles, c’est assez fou et honnêtement, complètement top.

L’autre effet secondaire d’un séjour dans ce genre de pays c’est que tous les menus soucis qui vous encombraient l’esprit avant de partir se sont évaporés et…hein ? Quoi ? Des problèmes ? Mec, cherche pas, ma vie est juste parfaite.

Ceci dit, je suis pas mécontente de rentrer au bercail : je me sens usée, j’ai mal partout et un petit changement de rythme me ferait du bien. Ce qui me fait penser que je vais copieusement rigoler en débarquant à Roissy avec ma valise (cassée) : un jean d’été, un t-shirt et mon unique vieux pull sur le dos…j’avais pas pensé aux menues variations météorologiques en faisant mon sac il y a deux mois. J’vais être aussi réchauffée qu’une antilope parachutée sur une banquise, ça va être sympa tiens. On en reparle la semaine prochaine !

Sur la même longueur d’ondes. Enfin presque.

Les ptits loups, s’il y a bien un truc qui est complètement exotique en Inde en général, et aux Jeux du Commonwealth en particulier, c’est la communication.

Peu importe le nombre de jours/mois/années que vous avez pu passer en pays anglo-saxons (ou devant des séries US), sachez que le plus bel accent que vous pourrez sortir ne vous servira à rien ici. A rien. Plus vous parlerez franglais, mieux on vous comprendra. Du coup vous forcez le trait et vu de l’extérieur ça fait doucement ricaner tant on tombe dans la caricature.

Imaginez que deux mois à ce régime, c’est un coup à bousiller proprement des années de boulot pour gommer l’accent français (genre) et faire une croix sur les bénéfices d’un séjour à Londres. Ce qui sauve tout ça ici, c’est le nombre d’étrangers en direct import du Royaume-Uni qu’il y a au m². C’est bien connu, la première réponse que l’on obtient d’un londonien à qui on sert du franglais c’est un regard ahuri entre 3 clignements de paupières interloqués. Enfin, je me moque, mais quand un indien me parle anglais je capte à peu près un mot sur deux. J’ai fait des progrès. Par contre au téléphone y a intérêt à s’accrocher, surtout si vous êtes à côté d’un fenwick qui ronronne avec l’enthousiasme d’un chaton obèse de 15 tonnes, asmathique de surcroit : on panne que dalle.

Après il y a les discussions avec les Indiens qui parlent uniquement hindi. Ça donne ça :

Il est 10h30. Après 2h de fouille, vous dégottez enfin dans un terrain vague le camion que vous attendez pour vider une zone, un magnifique semi-remorque à la cabine bleu pétrole dont l’intérieur est envahie de guirlandes arc-en-ciel et d’étoles en tout genre. De la pop indienne grésille depuis le téléphone portable posé sur un siège, une casserole boue sur un réchaud côté passager et ça sent plutôt bon. 4 pompons noirs fixés aux essuie-glaces pendouillent sur le capot au-dessus d’une roue de secours constellée de pois multicolores, fixée telle une figure de proue un peu rouillée, alors que les restes des foulards rouges accrochés aux cadavres des rétroviseurs s’agitent mollement dans l’air chaud qui vous entoure. Blagues et sarcasmes mis à part, j’adore leurs camions.

Il est pas mignon celui-là ? avec sa pièce montée meringuée sur le toit ?

Me: You speak English ?

Lui: yessir.

Me : Ouère are you workingue, toumoroh ? (en franglais, évidemment)

Lui: T’ickey, sir (traduction : « okay, sir »)

Donc là, c’est sûr, on tient le bon bout…ajoutez à ça la manie du pays qui consiste à dodeliner de la tête à chaque question et vous comprendrez qu’un Européen basique est parti pour galérer un moment : un indien ne fera jamais « oui » ou « non », mais un mix des deux en faisant osciller sa tête de gauche à droite, d’une épaule à l’autre. À l’instinct on traduit ça par « peut-être ». Pas très clair mais super pratique, je suis d’ailleurs en train de prendre le tic. Et mes collègues vont me mettre des claques si je ne surveille pas ça un minimum…

Le deuxième mode de communication universel du pays, c’est la paperasserie. Ici ils sont raides dingues des formulaires, des cartes d’accès, des badges…de vrais champions en matière de déforestation administratives. Les modalités d’accès à un site surveillés varient suivant les jours, les heures et le tour de bide du commandant en chef qui vous lorgne depuis sa chaise en plastique. Ne cherchez aucune logique : Ce matin, après 20min de pow-wow devant une barrière d’accès et quelques coups de fil, j’ai finalement pu aller bosser en filant au sergent un bout de papier daté de la semaine dernière sur lequel était inscrit  en police Verdana 18 (en gras) : « Exit autorisation pass  for truck », orné du spectre d’une signature très solennelle d’un pseudo haut responsable de site (en l’occurrence, c’était la mienne…). Okay.

Moralité, si vous voulez entrer n’importe où en Inde, emportez dans vos valises une liasse de feuilles ornées d’un joli coup de tampon et sur un malentendu y a moyen que ça passe.

Allez zou ! on remballe !

Il y a quand même une chose à retenir de tout ça : les Jeux ont bien eu lieu. Je suis passée vite fait au Village en cours de semaine pour checker deux-trois bricoles et « Oh surprise », il y a eu des métamorphoses depuis ma dernière descente sur place. Des athlètes partout, des installations qui fonctionnent à plein régime, des boutiques de souvenirs pleines de vuvuzelas.

Oui, vous avez bien lu, même ici on y a eu droit…j’ai considéré en acheter une ou deux (voire une caisse), pour les utiliser à la fenêtre de la bagnole histoire de traumatiser les rickshaws et autres motards à l’arrêt pendant les embouteillages. Avec un regard sadique et toute la puissance de mes petits poumons musclés. Jusqu’à l’apoplexie. Par pure vengeance. Parce que quand ça bouchonne à Delhi (genre régulièrement) avec leur vénération fanatique du bruit et du klaxon, c’est l’Enfer sur Terre. A côté, les avertisseurs sonores d’un périph’ parisien c’est une petite musique de nuit. Donc : œil pour œil, tympan pour tympan.

Bref, même si tout n’a pas été parfait, c’était loin d’être ridicule et honnêtement, ça m’a fait super plaisir (je parle des Jeux hein, pas des vuvuzelas). Un beau challenge. Quand on voit où en était la situation, ne serait-ce que 48h avant l’ouverture, on regarde forcément tout ça avec un peu d’émotion.

Mais pendant que tout ce petit monde raflait des médailles, ça commençait déjà à s’agiter backstage pour commencer à plier discrètement bagage. Certains arpentaient les terrains, faisant fondre la semelle de leur converses sur des pistes de cyclisme brulantes. D’autres faisaient le tour des stades pour chercher des camions égarés : Sachez qu’un conducteur indien peut vivre quelques jours très peinard, sans bouger de la cabine de son poids lourd, en attendant que vous le débusquiez quelque part en rase campagne. Ils sont fâchés avec les plans dans ce pays. Ça peut durer trèèèèèès longtemps, je vous préviens, on a des records de presque une semaine. Ou alors un conducteur de camion un peu relax peut  très bien se barrer en laissant son véhicule sur le bord de la route pour aller se chercher à manger, puis taper une sieste de deux heures sous un arbre…avant d’aller livrer son matos (qui porte évidement l’étiquette URGENTISSIME) 300m plus loin. 300m en 2h. Si ça c’est pas de l’optimisation de planning, je sais pas ce que c’est.

Et après les flics au portique de sécurité vous serinent 1h de plus, mitraillette au poing, parce que les rouleaux de papier bulle dans le conteneur sont pas tout à fait ISO 9001 et que, comme ils ont un doute sur la sécurité, il faut tous les passer à la machine à rayon X. Tous. La machine en question a le format de celles utilisées pour un contrôle bagage à l’aéroport alors pour scanner un camion vous pensez bien qu’on a le temps de se faire un thé ou douze. Puis après on sort le compteur Geiger, car après-tout, sait-on jamais, dès fois qu’un ouvrier ait planqué une ogive dans son baluchon…

Bref, vous comprenez mieux pourquoi on était un peu short avec 7 ans pour organiser tout ça…

Mais c’est cool, au moins le soir au resto on se marre bien !  et ici on relativise vite  : l’Inde c’est pas exactement un pays de bisounours alors un retard sur le planning c’est difficilement vu comme un drame (Sauf sur ce blog mais c’est mon côté artistique qui donne cet effet. Théâtralité oblige. Voilà.)…la vie est loin d’être tendre pour tout le monde dans ce pays mais ceci est une autre histoire.

Bref. Grand retour au Village la semaine prochaine. En attendant, je vais passer mon temps entre les bureaux, les sites et le dépôt secondaire : un hangar perdu dans la cambrousse indienne, confié à la vigilance d’un vieux gardien de sécurité armé d’un mousquet (true story) et de son fidèle compagnon, un labrador à trois pattes mangeur de testicules (true story aussi). Stay tuned.

Un peu de paillettes dans ce monde de brutes.

Parlons peu, parlons bouffe. Ma plus grande déception en arrivant ici, c’était les repas. Au Village, c’était Mac Do tous les midis, (ou Subway, au choix) rapporté par les chauffeurs sur le site. Disons que le Village c’est un peu loin de tout type de resto quelconque, que c’était trop le rush pour s’absenter longtemps et que de toute façon le fait de devoir faire 2 bornes minimum sur le site pour trouver un truc qui ressemble à des toilettes, ça encourage pas des masses à faire l’aventurier en matière de bouffe les premiers jours …
Une semaine à se nourrir avec 6 pauvres nuggets tièdes/jour et une micro-frite, parce que là-bas c’est des portions format « nourrisson et petite enfance ». Le drame.

Jusqu’au jour faste où la cantine du Village a ouvert ses portes. Bon, ce jour-là les cuistots en étaient à leur coup d’essai et avaient complètement zappé qu’il n’y avait pas que des indiens sur le site. Du coup on a eu la version assaisonnée comme à la maison : Je mourrais tellement de faim ce jour-là que j’ai dégommé la moitié de mon assiette avant de réaliser que ça cramait méchamment. Tout ça pour ressortir de la salle repue et ravie mais avec les lèvres qui brulaient autant que si j’avais roulé un patin au dragon de Shrek et le sentiment d’avoir une chaudière entre les côtes. Depuis, j’ai pris un peu l’habitude et la bouffe indienne, c’est indéniablement bon.

Après y a eu les bureaux, avec les livraisons de Domino’s pizza entre deux coups de fils. Ça, c’est la version «putin le stress trop d’boulot j’m’en sors pas aaaaaaaaah», avec un squat au petit resto indien à côté de l’hôtel le soir. Mais, les p’tits loups, les choses ont changé.

Quand on bosse à l’étranger, il y a ces mots magiques : Per Diem. Une grosse liasse de roupies qui tombe sur votre bureau pour couvrir vos frais journalier en plus de votre salaire. Ce qui n’est pas le cas quand vous bossez au pays parce que c’est bien connu, le cout de la vie est plus élevé en Inde qu’à Paris, surtout pour un stagiaire (blague). Mais en l’occurrence, je ne vais surtout pas me plaindre hein 😀

Le Mac Maharaja. Découverte culinaire du mois. Ou pas.

Rapporté au niveau de vie du pays, ce petit bonus vous permet juste de vivre comme un golden boy à plein temps. Et depuis une semaine, maintenant que les Jeux sont lancés et qu’il est possible de faire de vraies pauses repas et d’envisager de quitter le bureau avant 21h, je vous raconte pas les dégâts.

Mes collègues m’ont enrôlée dans une espèce de marathon qui consiste à squatter tous les restos des palaces de la ville. La décadence totale. En bon être humain, je résiste à tout sauf à la tentation : Une semaine de festins gargantuesques. No limit. Le clou du show c’était dimanche dernier à l’occasion d’un brunch très corporate pour fêter l’ouverture des Jeux : Avant de me lancer, je pensais que le champagne à 10h30, pour digérer un bon gros breakfast à l’anglaise, c’était pas une bonne idée. Surtout en open-bar. En fait, ça passe très bien.

Alors ouiiiiiiiii, je saiiiiiiis, c’est pas local, c’est pas typiiiiiiiiiiiiiiique…mais j’vous jure qu’au bout d’un mois, le local et le typique, quand on fait des journées de bourrin sans un iota de tourisme :

  1. On peut très bien s’en passer quelques jours.
  2. Entre nous, on n’en a plus rien à foutre.

Le plus scandaleux là-dedans c’est que, comme personne n’est à l’abri d’une descente express dans un dépôt crade et glauque, c’est la grande mode clochard. Le clodo-chic. La tête des portiers quand ils voient débarquer 15 pouilleux, avec des jeans troués et des converses dégueux devant leurs hôtels de luxe, c’est pas triste. Quand je pense qu’avant d’arriver ici j’ai envoyé un mail pour savoir si le tailleur était de mise…Pour découvrir un environnement tellement à l’arrache et crado que les négociations terrain se font sur une planche posée sur de vieux bidons d’essence, avec un client en basket et un responsable de site en short. Z’ont du se payer une bonne barre de rire au bureau, tiens, en me lisant.

Du coup j’ai débarqué à Delhi avec toute une tapée de vieux t-shirts autres attirails d’une autre époque et en partant bosser le matin j’ai parfois l’impression d’avoir 14 ans. Mes fringues parisiennes commencent à me manquer méchamment.

Ça et puis, pour achever le sujet bouffe, le fait indéniable qu’il n’y a pas de vrais steaks dans ce pays commence à me rendre complètement nostalgique. Heureusement que j’ai découvert ce resto australien qui fait des burgers de champion parce que passer encore un mois à ce régime c’était un coup à attaquer une vache sacrée à la fourchette.